« Pour Georges Marchais », par Jean Ristat, Directeur des Lettres françaises et exécuteur universel des écrits d’Aragon.
extraits de l’éditorial des Lettres françaises, 01 Décembre 2007.
(…) Je vais si vous le voulez bien, ouvrir un album de famille et commenter pour vous, brièvement, quelques images parmi tant d’autres possibles, qui vont se présenter au risque de la mémoire. (…)
Nous sommes en 1979. Les huit heures d’entretien que je fis avec Aragon pour Antenne 2, réalisées par Raoul Sangla, ont déjà été tournées, et seront diffusées un peu plus tard, non sans mal. Elles feront scandale, en raison du masque que le poète portait dans les trois premières émissions.
Toujours est-il que je découvris alors un autre visage de Georges Marchais, tellement à l’opposé de celui que lui donnaient et qu’il prenait (peut être à son tour comme un masque) dans les médias : un visage dur, parfois agressif, dont les sourcils épais accentuaient le caractère implacable et, disait-on sectaire. Il est intéressant d’en parler aujourd’hui, en 2007, alors que la règle de la bienpensance contemporaine veut que dans les débats soit effacée toute différence, par exemple entre la droite et la gauche.
(…) une autre image se présente : celle de l’homme privé, causeur inlassable, attentif, ouvert à la critique, à la discussion. Nous sommes en banlieue, Liliane et Georges étaient venus dîner à la maison. J’avais invité, pour l’apéritif, des voisins et amis désireux de rencontrer le secrétaire général du Parti. Je n’ai pas la date précise de cette petite réunion. Mais il suffit de savoir que Georges rentrait d’un voyage aux USA (ndlr: 1992). Il a longuement parlé des débat qu’il eut là-bas, des échanges avec des chefs d’entreprise ou des personnalités venues de différents horizons comme on dit: il nous a proposé une image nuancée, contrastée des Etats-Unis qui a bien peu à voir avec le manichéisme qu’on lui prête. Bref il a charmé tous ceux qui l’entouraient et convaincu ses interlocuteurs, très différents les uns des autres, n’y avait-il pas là si ma mémoire est bonne, des petits artisans et Antoine Gallimard, entre autres … Certains m’ont avoué plus tard qu’il les avait étonnés par la douceur qui émanait de son visage, de ses yeux, dont le bleu évoquait celui des yeux d’Aragon.
Les années passant, nous nous vîmes plus régulièrement, partageant un repas ou un verre avec Ramon Bell-Lloch et Fabienne Pourre. Le Parti avait permis la repartions des Lettres françaises dont quelques-uns se souviennent peut être du numéro « Porno » qui provoqua alors, un peu partout, un beau tollé.
Georges n’en semblait pas particulièrement effarouché ou scandalisé: n’a-t-il pas signé à la Fête de l’Humanité, à qui le lui demandait, la couverture des Lettres, laquelle avait été réalisée, à ma demande, par le peintre Pierre Nivollet.
Elle représentait une femme masquée tenant dans la main une verge imposante à laquelle, tout porte à le croire, elle s’apprêtait à rendre hommage.
Jean-Louis Martinoty en possède un exemplaire avec la signature de Georges sur l’organe masculin.
Voilà une anecdote qui peut étonner, j’imagine; comme cette autre image qui me vient à la mémoire : j’avais alors un compagnon que le sida emporta, après vingt ans de vie commune, en 1996. Nous sommes reçus, près d’Avignon, dans la maison de Liliane et de Georges qui nous offrent l’hospitalité en nous laissant leur propre chambre pour la nuit.
(…) Georges admirait Aragon. Il faudrait dire mieux, il l’aimait en sachant ce que nous lui devons, tous. Ne l’ai-je pas vu pleurer lors d’une de ses visites au fonds Aragon-Triolet dont le CNRS était le dépositaire, en feuilletant les manuscrits qu’on lui présentait ?
(…) La dernière image : je suis venu le voir avec Ramon Bell-Lloch à Champigny. Il est affaibli, amaigri. Il sait bien que la mort peut le saisir à tout moment. Mais il a toujours la même ardeur au combat d’idées. Il n’a renoncé à rien de ce qui fait sa raison de vivre. Communiste, il le restera jusqu’au bout, fidèle et confiant en son Parti tout en sachant qu’il devrait évoluer. Il avait déjà passé le relais mais il était debout, debout désormais face à son destin.